mercredi 27 mai 2015

Nike TN Rencontre avec le cinéaste dont le magnifique

Rencontre avec le cinéaste dont le magnifique ?l'Ombre des femmes?, présenté à Cannes au sein de la Quinzaine des réalisateurs, sort ce mercredi. Une dizaine de jours après avoir superbement ouvert la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes, l'Ombre des femmes sort finalement en salles. Ramassé sur la durée d'une intrigue triangulaire à l'os, le nouveau film de Philippe Garrel enlumine les relations douloureuses d'un trio d'amants, un homme (Stanislas Merhar, remarquable dans un r?le miné de mufle taiseux) et deux femmes (Clotilde Courau, merveilleuse retrouvaille dont la présence insuffle l'essentiel de sa respiration au film, et la révélation Lena Paugam). Trois figures qui s'aiment mal, se trompent et se retrouveront peut-être, si toutefois le leur autorise la cruauté des rapports genrés que le film s'emploie à dénuder. A la veille de la présentation cannoise du film, le cinéaste nous avait re?u dans son appartement parisien pour un long entretien où il nous raconte de quelles complicités et pulsions est né ce vingt-cinquième long métrage, l'un des plus beaux et limpides de sa filmographie récente. SUR LE MêME SUJET CANNES A l'ombre des jeunes femmes en pleurs Par Julien Gester PORTRAIT Clotilde Courau, ni peur ni couronne Par Sabrina Champenois De quels cinéastes vous sentez-vous proche aujourd'hui ? Proche, je ne sais pas comment l'entendre. Ce qui est s?r, c'est que je n'ai pas tant d'amis que cela dans ce milieu. De plus, je connais peu la nouvelle génération d'auteurs fran?ais ou le cinéma non européen, que je n'arrive pas à suivre en profondeur - en Amérique, j'aime surtout Jarmusch, Only Lovers Left Alive, c'est magnifique. En France, et même dans le cinéma en général, les ultimes points de repères auxquels me raccrocher en période de doute sont l'existence contemporaine de Jean-Luc Godard et Leos Carax, qui sont à mes yeux deux génies. Et qui sont tous les deux passés par ce processus qui me fascine, que j'appelle ?l'invention du génie?, c'est-à-dire que l'on décrète arbitrairement que l'on sait faire quelque chose. Après quoi, on se débrouille pour trouver une manière propre de l'effectuer, tout en sachant que l'on a trompé son monde lorsque l'on affirmait que l'on savait ce que l'on faisait. En ce sens, je me rappelle une interview de Carax où il disait : ?J'ai l'impression d'être un imposteur.? Cela m'amuse, car j'ai retrouvé un article où, jeune, je disais peu ou prou la même chose dans les Cahiers du cinéma. Mais c'est aussi parce que je suis différent d'eux, parce que je suis très dilettante, que je peux les considérer sous cet ?il. Comment cela, dilettante ? Dilettante, pas au sens où je ne fais rien - car je tourne beaucoup, surtout ces dernières années -, mais au sens où j'aime bien et je m'identifie aux artistes qui sont plus engagés dans la vie que dans leur art. Je préfère la vie au cinéma. L'Ombre des femmes suit surtout le personnage masculin, joué par Stanislas Merhar, mais on sent très vite que c'est le personnage de Clotilde Courau qui en est l'ame. Cela tient beaucoup à la force de son interprétation, mais l'aviez-vous anticipé ? Oui, vraiment. Je l'ai vue chez elle, il y a assez longtemps. J'avais tout de suite trouvé qu'elle était de ces gens qui emportent la scène et le public. Qu'elle avait un talent évident - une science, même. Elle apporte énormément au film par sa capacité à changer de rythme tout le temps à l'intérieur même d'une scène. Et c'est elle qui fait ?a, moi je fais juste attention à ce que ce soit juste, comme le chef d'orchestre tend l'oreille vers son premier violon. Par ailleurs, comme j'ai écrit ce film notamment avec ma femme, Caroline Deruas, c'est vraiment un projet que je voulais féministe. Il est donc normal que le premier r?le féminin soit presque mieux écrit que tous les autres r?les, et dès lors que l'on lui a mis ?a en main, elle l'a saisi comme une arme extraordinaire pour jouer. Tout est prévu et tout est fait en même temps dans la concrétisation des choses. Vous travaillez pourtant avec énormément de répétitions préalables et souvent une seule prise sur le tournage… Une mise en scène, ?a ne s'écrit pas sur le papier comme on le fait avec l'histoire, les dialogues et les situations. Comment on ressert les mailles entre ces situations, par exemple : ?a, seule la mise en scène peut le faire, en s'aidant de l'espace-temps, de l'histoire écrite par la caméra. Il y a une chronologie dans le scénario, mais rien n'existe encore, avant que l'on se rende sur le décor, et qu'on le livre avec les acteurs à l'écriture-caméra. A ce moment-là, on redistribue vraiment quelque chose. Et puis, pour revenir à l'incarnation, il y a tout ce qui se joue de secret en l'acteur. Par exemple, je pourrais parler de Lena Paugam, qui vient du Conservatoire et n'avait jamais travaillé au cinéma avant ce film. Je la trouve très intéressante. Lorsque nous avons fait les premiers essais, après déjà un certain nombre d'étapes, elle avait souvent ce que mon père appelait, empruntant la métaphore à la course de haies des chevaux, ?un refus de sauter?. Plus tard, pendant les répétitions, alors qu'elle avait eu un enfant dans le hiatus entre deux phases de travail, cela s'est complètement débloqué. Le jeu de l'acteur, cette chose très étrange, se résout donc aussi par les métamorphoses de la vie réelle. Et ?a, on ne peut que l'observer. Le film a quelque chose de plus sec que tous vos précédents, un onirisme moins évident… Cela tient beaucoup à la lumière du chef-opérateur, Renato Berta. C'est un réaliste solaire, alors que Willy Kurant, qui avait fait l'image de mon précédent film, la Jalousie, Nike TN fait une lumière lunaire. Par ailleurs, les portions empruntées à mes rêves que je note au cours de la nuit - comme il y en a toujours glissées dans mes films -, même si elles sont tissées dans le réel et demeurent invisibles pour le spectateur, sont plus réduites ici. Presque tout ce que vous filmez de Paris à l'arrière-plan et toutes les surfaces devant lesquelles défilent vos personnages para?t un peu délabré, sali. D'ailleurs, les figures de vos derniers films appartiennent toutes à un milieu plus modeste que par le passé. Pourquoi ? ?a vient d'un constat que j'ai fait : je me suis rendu compte que c'était devenu insupportable, les histoires d'amour dans la bourgeoisie au cinéma. C'est un genre à bout de forces. Dans le temps, ?a allait, jusqu'aux années 60. C'étaient des histoires bourgeoises, mais ?a ne se voyait pas Nike Tn encore trop. Ensuite, on a commencé à s'en rendre compte - et aujourd'hui, je ne trouve plus ?a possible, il y a une saturation de l'image de la bourgeoisie au cinéma, dans les films d'amour en particulier. Alors, j'ai voulu que cette histoire se joue chez des gens modestes, mais tout de même des personnages que je pouvais conna?tre, et donc écrire. D'où ces figures de documentaristes sans le sou, ou, dans mon précédent film, ce milieu de comédiens de théatre fauchés. Vous renouvelez beaucoup les postes-clés de vos équipes, d'un film à l'autre, mais cela ne vous empêche pas d'aller vers des gens très chevronnés presque à chaque fois. Vos collaborateurs ont peut-être la moyenne d'age la plus élevée du cinéma fran?ais. Pourquoi ? J'adore les vétérans, ces gens que Raoul Coutard [l'un des plus grands chefs-opérateurs de la TN Requin nouvelle vague, ndlr] appelait les ?chibanis?. Des gens dont on voit bien, sur les tournages, qu'ils se renvoient un respect mutuel, fondé sur leur expérience. Et j'ai un grand plaisir moi-même à les regarder faire. Mon chef-électro, Jean-Claude Lebras, est sans doute le plus vieux en activité sur les plateaux fran?ais, et c'est pareil à d'autres postes. Le fait est que beaucoup font avec moi leur tout dernier film, si bien que je suis obligé de changer après. Comme Coutard, qui avait décrété qu'il ne travaillerait plus après Sauvage Innocence, et qui aimait à raler pour rire sur le plateau quand tout le monde s'activait dans son coin sans faire attention à lui : ?C'est pourtant la dernière fois que je les allume, ces lumières !? Et ce qu'il faisait était magnifique. Si j'aime tant ce type de collaborations, c'est qu'à la fin de nike de ninja leur vie, les gens redeviennent beaucoup plus artistes. Comme ils sont agés, ils ne s'engagent plus dans n'importe quoi, et ils ont une vie de cinéma derrière eux qui leur fait conna?tre leur domaine beaucoup mieux que moi, qui ai pourtant l'expérience de presque tous les postes pour les avoir occupés sur des films très fauchés que j'ai faits. Ils ont leur manière propre de faire leur métier, qui est souvent fascinante à observer parce qu'elle remonte de très loin. Qu'est-ce qui vous a conduit à coécrire, cette fois - avec notamment Jean-Claude Carrière ? Carrière, c'est un mythe, c'est comme un ma?tre. On ne peut pas imaginer combien de livres il a lus dans sa vie et il a presque une dimension de scénariste-philosophe, en quelque sorte. Il y a entre nous un rapport de ma?tre à disciple. Et si l'on regarde la liste des air rift review chefs-d'?uvre dont il a écrit le scénario - pour Godard, Louis Malle, Bu?uel -, c'est écrasant. C'est un classique. Et pour un moderne comme moi, c'est très intéressant de dialoguer avec un classique. Et puis, il faut dire aussi qu'avoir à travers lui quelqu'un de la génération de mon père au scénario, c'est merveilleux, ?a ouvre quelque chose. Justement, depuis que votre fils est entré dans vos films, au début des années 2000 et jusqu'à la mort de votre père, en 2011, il a semblé que votre cinéma s'était organisé autour de cette attelage de vos trois générations. Dans la Jalousie, cela s'était perpétué par le fait que vous filmiez l'histoire de votre père. Et donc, ici, on pourrait supposer que cela passe par la présence de Jean Claude Carrière à vos c?tés au scénario, qu'il prolonge quelque chose de cette alliance intergénérationnelle… C'est Air Max 90 tout à fait juste, car c'est bien là le carrefour où je me trouve quand je fais ce film. C'est un bon exemple de comment on essaie de résoudre sa vie avec le cinéma. C'est dialectique : je pense que le cinéma fout ta vie par terre, parce que c'est énorme, faire un film. C'est comme si tu construisais un immeuble de plusieurs dizaines d'étages avec un compte à rebours. Et en même temps, quelque part, ?a te permet de te tenir, devant tes problèmes, tes deuils, tes histoires d'amour… Comment voulez-vous que l'on entende le titre du film, l'Ombre des femmes, qui dessine un programme plus mystérieux que la Jalousie, par exemple ? Je ne sais pas vraiment. Je trouve un titre, il me pla?t, cela devient la clé d'un film sans que je sache forcément pourquoi. Mais j'avais écrit quelque chose par rapport à un des sens possibles de ce titre. Attendez… (il se lève, fouille dans la pièce d'à c?té, revient avec le scénario du film, en découpe un paragraphe sur une page et nous le tend). Vous voyez : ?a, je ne l'ai pas mis dans le film, parce que c'est un peu comme de la poésie - et on ne fait pas de poésie, au cinéma, avec de la poésie écrite (on lit le passage inscrit sur le bout de papier) : ?Les femmes sur la terre comme parfois les nuages font une ombre portée parce qu'elles empêchent de percer la lumière du soleil et cette ombre glisse et se déplace autour de vous. C'est l'amour qu'elles vous ont donné qui n'est plus là.?


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